Le cœur
Mon cœur n’est pas excellent puisqu’il présente un prolapsus à la valvule mitrale mais il pompe régulièrement le sang de mes veines. Il possède un sens de l’effort remarquable, j’ai observé comment il se débrouillait pour pallier la fuite : une sorte de cape fouette la cavité supérieure, Un drapé romantique flottant au gré du flux. Le médecin sanguin me dit qu’il faut surveiller à ce qu’aucun microbe ne vienne s’installer dans la région du cœur, c’est la seule recommandation médicale prescrite pour contrer l’insuffisance cardiaque en question. Il faut découvrir le battement de mon cœur, le petit souffle qui indispose les ignorants mais réjouit les amateurs d’anomalies anatomiques. Je te donne une pompe plus élégante que la moyenne parce que drapée de tissus intérieurs. Je te donne l’occasion de passer à la télévision une partie de ton corps, par un subtil jeu d’échos qui ne manquera pas de rappeler l’observation d’un fœtus. Avec le son en plus, tu te croiras dans un film d’épouvante, sur le point de croiser une armée de toiles métalliques marchant au pas cadencé. Un bruit magistral, relayé par le scintillement ondulatoire de l’écran. Je ne donnerai pas le refuge de mes sensations parce que je ne suis pas propriétaire de l’expression, pourtant, plusieurs fois je l’ai vu s’emballer, plusieurs fois j’ai compris qu’il échappait à mon contrôle. Ainsi, lorsque je suis sur le point de m’adresser à un public d’inconnus : il me roule des saccades comme un canon fou et tire à boulets rouges. Dans ces moments-là, le corps entier résonne. Rien à faire d’autres qu’écouter la musique d’une poitrine envenimée par l’émotion. Vais-je passer pour un charlatan, un bonimenteur d’écrivain pas courageux, un spécialiste des idées brocanteuses ? Je donne un organe pas bien gros, pas bien solide comme s’il s’agissait d’une pièce maîtresse. N’exagérons pas : je garde le nombril. Il me semble que cette cicatrice cache bien des secrets.