Ailes
Je te donne les ailes qui m’envolent chaque soir un peu plus loin dans mes rêves. Je ne sais pas d’où je les tiens ni à quoi elles ressemblent car je ne les vois jamais. Je ne sais pas exactement où elles s’articulent dans mon dos. Je ne fais aucun effort pour les regarder, mon corps ne sait pas si elles existent parce qu’il ne les sent pas au bout des muscles quand elles se déploient. Je vole régulièrement chaque nuit. Une partie de moi regarde le monde circuler sous son ventre, comme un oiseau, avec cette différence que les choses m’apparaissent vues du dessus. Je ne rentre pas dans la vie des choses, je les survole.
Mes ailes ne poussent que la nuit, il s’agit plutôt d’un pouvoir magique éphémère. Je devrais dire que je donne une idée, il me faudrait tempérer le don : flotter dans l’espace, avancer librement au-dessus des éléments, sans contact avec eux. Je ne fais pas le généreux mais il existe dans la conscience de mon corps un moment de liberté. Autant l’utiliser – peut-être s’agit-il du retard au vieillissement, oui : une sensation physique d’existence pleine. Nager, courir, piloter, conduire, copuler, voler et tout et tout. Le vent se prend dans mes cheveux lorsque je marche sur la crête d’une montagne – sous l’effort, une source d’énergie me pousse vers le sommet de la roche. La magie relève de l’imagination : personne ne m’a jamais dit que j’avais des ailes, aucun vestiaire pour ailes n’est construit dans les habitations. Je ne suis pas dupe : ce qui se passe dans mon dos me dépasse mais ce qui me dépasse donne le survol. Sans aucun effort, juste un élan mental : je traverse des vallées, je relie les rives des étangs.